L'univers de Pascale Bougeault auteure-illustratrice

Les Reines du Gymnase

Le 17 août 2006, alors que Nicolas Sarkozy est ministre de l’Intérieur, les squatters du bâtiment F de la cité universitaire de Cachan sont expulsés par un nombre impressionnant de CRS et de policiers vers 9 heures du matin. Ils sont plus de 500 à squatter ce bâtiment appartenant au Crous, désaffecté depuis au moins 3 ans. Hommes célibataires, familles, avec ou sans papiers, travaillant ou non. Une centaine de personnes accepte de partir en autocar pour des logements mis à leur disposition, certaines sont arrêtées et « reconduites à la frontière », tandis que d’autres, qui n’ont pas confiance, décident de rester groupées et de ne pas quitter Cachan. Ils installent un camp de fortune pour la nuit. Enfants, dont des bébés, femmes, hommes, sous la pluie, dormiront sur les trottoirs, devant les pas-de-porte des maisons et des immeubles.

 

Devant l’urgence, Jean-Yves Le Bouillonec, député-maire de Cachan, met à la disposition des familles le gymnase Belle Image de la ville.

Cela devait être provisoire, en attente de solutions dignes. Avec papiers ou sans-papiers, les « irréductibles » se constituent en « 1000 de Cachan » et réclament des papiers pour tous, un relogement et le respect de la scolarité pour leurs enfants. Et ne veulent plus bouger du gymnase. Attirés par les promesses et par la protection des associations, d’autres sans papiers viennent s’y réfugier et leur nombre double. Six entament une grève de la faim.

En marge de la médiatisation de l’événement, les habitants de Cachan se mobilisent au quotidien pour rendre la vie des familles dans le gymnase exigu plus facile. Certains apportent des couvertures, des matelas. D’autres accompagnent les mamans et leurs bébés à la PMI, pour les baigner, les peser. Les besoins sont multiples, laver du linge, préparer un repas, apporter du réconfort, aider à remplir les formulaires… D’autres, encore, accompagnent les enfants à l’école, pour éviter les contrôles policiers et un retour case départ.

Matelas, sacs, chaussures s’empilent. À l’intérieur, femmes et enfants, à l’extérieur, les hommes. J’entre, seule, gênée, sans savoir vers qui me diriger. Les visages sont durs, fermés. Colère, solitude. Il faut enjamber les matelas, ne pas marcher sur un nourrisson endormi. Je cherche un regard auquel m’accrocher et croise celui de Maïmouna. Je suis venue proposer une aide.

– Lave ces vêtements, me propose-t-elle.

Me voilà plusieurs jours de suite à faire des allers et retours.

Sacs de linges sales, sacs de linges propres.

 

– Maïmouna, penses-tu qu’il soit possible que je dessine, ici dans le gymnase ?

– Bien sûr ! Et tu commences par moi, tu me donneras des cours de dessins.

Je commence son portrait, puis celui de sa voisine de matelas. Fatou, sa voisine, me demande de continuer par elle, et une autre, Bintou me fixe un rendez-vous et ainsi de suite, mon agenda se remplit !

Rendez-vous pour lesquels, elles se font belles, se font coiffer, mettent leurs plus beaux vêtements. Leurs plus belles couleurs.

Couleurs comme témoignage de leur force, de leur résistance à être elles-mêmes ! Couleurs comme est vive leur détermination à rester en France. Couleur, vie, vigueur.

Yeux dans les yeux, échanges de regard, de sourire, de fou rire, de timidité, de gêne.

C’est la magie du croquis, portraits tous faits en direct, dans l’atmosphère bouillonnante du gymnase.

Cordes à nœud, barre de danse, matelas et sacs, mes premiers croquis témoignent de cette histoire à Cachan.

 

Toutes souhaitent leurs portraits isolés, sans lien avec ce qui est en train de se dérouler à Cachan.

Il n’y a que leur dignité, leur beauté qui compte.

Je les relie avec le monde, avec l’extérieur, par leurs sacs à main, leurs téléphones portables, leurs carnets d’adresses, les seuls trésors qui leur restent après l’évacuation violente du bâtiment F.

J’ai dessiné deux fois Maïmouna, une fois avec le gymnase en arrière-plan et juste avant son départ, sans les barres, ni les cordes à noeud dont elle ne veut pas garder le souvenir.

Le provisoire a duré deux mois, jusqu’au 12 octobre. Je vois les visages se tendre, devenir las. L’espace bien tenu devenir insalubre au fil des jours et des espoirs déçus. Les propositions de relogement tardent à venir et ne sont pas acceptables. Que faire en très grande banlieue et dispersés ? Les rumeurs à l’extérieur grossirent : tuberculose, chiens des travailleurs nocturnes menaçants, le groupe scolaire est à deux pas.

Une nouvelle évacuation a lieu au milieu du mois d’octobre.

Le périmètre bouclé.

J’aperçois de loin les derniers occupants monter dans un car.

Je pense à d’autres histoires…

J’ai honte.

Tous sont partis vers des logements souvent provisoires.

Certains réussissent à avoir des papiers.

D’autres expulsés.

Les six grévistes de la faim ont survécu.

J’avais heureusement noté les numéros de téléphone de la plupart d’entre elles pour leur offrir des copies des dessins.

Je suis partie à leur recherche, non sans peine, accompagnée d’Amora Doris, Cachanaise qui, comme beaucoup, souhaitait garder le contact.

J’ai retrouvé Maïmouna à Créteil.

En attente d’un logement qui en soit vraiment un…

Pascale Bougeault

20 aquarelles 50x60 cm.

Exposition à louer 300 euros TTC la semaine, à retirer à l’atelier de l’auteur.

site en construction

 

 

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